Jeanine JALKH | OLJ
Si personne ne sait exactement quelle forme prendra le dénouement final du blocage gouvernemental au Liban, ni quand il pourra avoir lieu, les signes avant-coureurs d’un déblocage étant presque inexistants à ce jour, une constante est toutefois à retenir : aucun des protagonistes n’a intérêt à ce que le blocage perdure. Interrogé par L’Orient-Le Jour sur le point de savoir jusqu’où irait le Hezbollah dans le soutien aux députés sunnites antihaririens, dont il réclame la représentation au sein du gouvernement contre l’avis du Premier ministre désigné, mais aussi du chef de l’État, un responsable du Hezbollah a éludé à plusieurs reprises la réponse, se contentant de répéter, comme son parti le fait depuis la résurgence de ce nœud, que « le problème ne se trouve » pas chez lui. Il a ajouté que, de toutes les façons, cette affaire ne valait pas tant de peine et que lui-même restait optimiste à cet égard.
Ayant pris fait et cause pour la défense des sunnites de son camp, le Hezbollah a continué à démonter toutes les thèses avancées par ses adversaires politiques et par de nombreux analystes qui ont vu un lien de cause à effet entre la « résurgence » du nœud des sunnites antihaririens et le contexte international de plus en plus « défavorable » au parti chiite, notamment au lendemain de l’adoption des sanctions américaines, contre lui d’abord, puis contre son allié stratégique, l’Iran.
Dans les milieux du parti chiite, on estime que le parallélisme établi entre les sanctions iraniennes et la formation du gouvernement ne relève d’aucune logique. « Avant la formation du gouvernement et alors que l’on se trouvait en pleines tractations, on s’évertuait à dire que le Hezbollah est pressé de voir le gouvernement formé parce qu’il craint les sanctions qui allaient le viser. Aujourd’hui, c’est l’avis contraire qui circule, à savoir que le parti ne veut pas de gouvernement à cause des sanctions. Il faudra bien que les analystes se décident un jour », ironise un responsable du parti chiite, qui a voulu garder l’anonymat.
Talal Atrissi, un professeur d’université proche du parti, rappelle à son tour que les sanctions avaient été annoncées il y a plus de cinq mois par l’administration américaine. Selon lui, le Hezbollah en était conscient et s’y était préparé. « Il n’avait pas besoin pour autant d’inventer le nœud sunnite. Mais admettons que cela soit vrai et que le Hezbollah veuille véritablement bloquer la formation du gouvernement à cause des pressions régionales, en quoi cela peut l’aider dans le contexte des sanctions ? » s’interroge-t-il.
Le second argument que M. Atrissi met en avant est le fait que le Hezbollah a dès le début revendiqué le ministère de la Santé, un portefeuille de services par excellence, qu’il pourra mettre au profit de sa base électorale notamment. « S’il est vrai qu’il bloque le gouvernement, comment pourra-t-il justifier cela devant son public ? » s’interroge encore le professeur.
Le Hezbollah ne lâche pas prise pour autant et continue de défendre, ouvertement et de manière soutenue, ce qu’il considère être le droit des sunnites du 8 Mars à être représentés.
Pour le parti chiite, c’est toute la logique de la représentation unilatérale des sunnites par le courant du Futur qui est rejetée. « Si l’on accepte le principe selon lequel le CPL et les FL représentent 90 % de la rue chrétienne, que Amal et le Hezbollah représentent également près de 90 pour cent des chiites, pourquoi refuse-t-on d’appliquer ce principe au sein de la communauté sunnite ? » se demande le responsable du parti chiite.
Ce dernier dément catégoriquement les allégations selon lesquelles le soutien exprimé par le Hezbollah à la cause des sunnites du 8 Mars est « soudain et circonstanciel », le parti chiite ayant été accusé par ses pourfendeurs de sortir cette « ultime carte » en vue de bloquer la formation du cabinet.
Le Hezbollah avait dès le départ prévenu le président et le Premier ministre de la nécessité de prendre en compte sérieusement cette question, sauf que les nœuds dits chrétien et druze avaient pris le dessus sur tout autre considération, la représentation sunnite ayant été « reléguée au second plan ou peut-être occultée », affirme-t-on de source proche du parti chiite.
Qassem Kassir, un autre analyste proche du Hezbollah, qui confirme que la requête des sunnites antihaririens était dès le départ sur la table des pourparlers, estime toutefois le parti chiite a commis « une erreur tactique durant les négociations ». « Le problème est que le parti n’a pas voulu au départ régler cette question en public. » Selon lui, des responsables du parti reconnaissent aujourd’hui avoir opté pour un mauvais choix, celui d’attendre que les nœuds chrétien et druze soient résolus en premier pour passer ensuite à la représentation sunnite du 8 Mars.
Hier, le secrétaire général adjoint du parti, le cheikh Naïm Qassem, a rejeté la responsabilité du blocage sur le Premier ministre désigné, lui demandant une nouvelle fois d’intégrer dans son équipe un ministre sunnite qui ne lui soit pas affilié. Le numéro 2 du parti chiite a toutefois nuancé la position de sa formation politique en affirmant que ce n’est pas le Hezbollah qui réclame que les six députés sunnites soient représentés. « Ce sont eux qui le revendiquent », a-t-il dit dans ce qui est apparu être comme une tentative du Hezbollah de se mettre au second plan, sans que l’on puisse s’attendre à ce que les autres protagonistes prennent cette tentative au sérieux.
C’est dans cette optique qu’il faut interpréter la visite effectuée hier par les six députés sunnites antihaririens auprès du mufti de la République, Abdellatif Deriane, pour faire valoir leur cause. Ces derniers ont indiqué à l’issue de cette rencontre avoir demandé un rendez-vous au chef de l’État, Michel Aoun, se disant même disposés à s’entretenir avec le Premier ministre, Saad Hariri, « si ce n’est à Beyrouth, à Paris même », comme le rapporte notre correspondante Hoda Chédid.
Si le Premier ministre est resté à ce jour sourd à la requête des sunnites prosyriens, dans les milieux proches de son courant on persiste et signe que ce n’est pas à Saad Hariri de résoudre ce nœud, mais bien plutôt à ceux qui l’ont créé. Réagissant en fin de journée aux déclarations du cheikh Naïm Qassem, une source au sein du courant du Futur a estimé que « la balle n’est pas dans le camp de Saad Hariri, mais dans celui des saboteurs », soulignant que « tous les Libanais savent qui sont les responsables de ce sabotage ». Le Premier ministre désigné a accompli « sa mission d’arrondir les angles », a-t-on ajouté de même source