Philippe HAGE BOUTROS | OLJ
Le ministre de la Justice Salim Jreissati est entré hier dans la partie qui oppose le gouvernement aux propriétaires de générateurs privés qui fournissent du courant pendant les heures de rationnement imposées par Électricité du Liban (EDL).
S’exprimant lors d’une conférence de presse organisée au ministère, M. Jreissati a qualifié de « rétorsion arbitraire » le fait que plusieurs exploitants à travers le pays ont coupé le courant à leurs clients pendant deux heures mardi pour protester contre le ministère de l’Économie et du Commerce qui les oblige à installer des compteurs individuels chez leurs clients. Le ministre de la Justice a indiqué qu’il avait demandé au procureur général près la Cour de cassation, Samir Hammoud, d’engager des poursuites contre ceux qui avaient coupé le courant, qu’il a accusés d’avoir « porté atteinte aux droits des citoyens » et de « rébellion » contre l’État. Le ministre sortant de l’Économie, Raëd Khoury, était également présent.
La querelle des compteurs
M. Jreissati n’a pas précisé quelles sanctions seront appliquées, assurant que la loi libanaise permettait de retenir plusieurs qualifications malgré l’absence de texte encadrant l’activité de ces exploitants. Il a en outre souligné que le fait qu’ils assuraient « de fait » la continuité d’un service public ne leur permettait plus de se réfugier derrière le respect de la propriété privée pour ne pas craindre de voir leurs équipements confisqués ou de se considérer libres de fixer leurs prix. Le ministre a également enjoint aux municipalités de signaler tous les propriétaires de générateurs qui couperaient l’électricité de façon arbitraire. « J’appelle les exploitants (en infraction) à ne pas aller plus loin », a-t-il encore affirmé.
M. Khoury a lui rappelé que l’installation de compteurs était obligatoire pour tous et que les exceptions étaient soumises à des conditions strictes. « Il faut que le refus émane de l’usager à qui ce choix est laissé uniquement si le propriétaire de générateurs – ou la municipalité qui est en charge – lui fournit déjà du courant sans générer de profit et à des conditions avantageuses », a-t-il résumé.
L’obligation d’installer des compteurs a été concoctée par les ministères de l’Économie et de l’Énergie il y a un an et demi pour tenter de réglementer l’activité des propriétaires de générateurs, en principes illégaux mais qui se sont imposés avec le temps, les capacités d’EDL étant insuffisantes pour fournir suffisamment de courant à tout le Liban. L’objectif de la mesure est de les obliger à facturer leurs abonnés en fonction de leur consommation réelle, en kilowattheures (kWh), au lieu des forfaits actuels qui évoluent selon la puissance délivrée en ampères, multipliée par le nombre d’heures de fourniture. Ces exploitants seraient plus de 7 000 au Liban, selon le comité central formé par plusieurs d’entre eux, qui possède même une page Facebook, Lebanon Generators. Une majorité d’entre eux contestent tantôt le principe de la mesure, tantôt ses modalités d’application, notamment le fait que le compteur soit installé à leur charge, ou encore le prix au kWh fixé par le ministère de l’Énergie (0,29 dollar pour les factures d’octobre).
Échec de l’État à réformer le secteur
Le ministère de l’Économie a tenté d’imposer cette mesure une première fois en 2017, en vain, avant de remettre le couvert peu après les législatives de mai. Mais les exploitants, qui avaient jusqu’au 1er octobre pour s’exécuter, ont encore été nombreux à le bouder. M. Khoury a affirmé à L’Orient-Le Jour que plus de 800 procès-verbaux (PV) avaient été adressés par la Direction de la protection du consommateur (DPC) pour signaler des propriétaires de générateurs qui n’avaient pas installé de compteurs dans toutes les zones inspectées. Sur le terrain, les inspecteurs de la DPC – qui dépend du ministère de l’Économie – sont accompagnés depuis octobre par des agents de la sécurité de l’État pour traquer les contrevenants, avec une panoplie de moyens accrus allant de la mise en demeure à la menace de confiscation.
C’est d’ailleurs le durcissement de ces tournées d’inspection qui est à l’origine de la décision de nombreux exploitants de couper le courant mardi en signe de protestation, répondant à l’appel lancé le même jour à Hadath par leur comité central. « Les convocations, au cours desquelles on nous oblige à signer un document qui nous engage à installer des compteurs, ont été globalement brutales, jusqu’à aujourd’hui », se plaint un propriétaire sous couvert d’anonymat.
Ce dernier a participé hier soir à une manifestation devant les locaux de la sécurité de l’État à Jdeidé en soutien à Abdo Saadé, un propriétaire de générateurs de Hazmieh détenu qui a « refusé de signer le document en question sans que les tarifs au kWh ne soit relevés ». « Les prix qu’on nous impose ne sont pas adaptés à nos frais d’exploitation. Les propriétaires de générateurs ne sont pas responsables de l’échec de l’État à réformer le secteur de l’électricité et on ne peut pas nous obliger à poursuivre notre activité si elle n’est plus rentable », lance-t-il, confirmant que pour l’instant « l’heure est au statu quo ».