Yara ABI AKL – L’Orient-Le Jour
Le patriarche maronite exhorte le Hezbollah à faciliter la mise sur pied du cabinet.
Le bloc du Liban fort parrainé par le Courant patriotique libre a créé la surprise hier, en occultant la question de la représentation des députés sunnites prosyriens au sein de la future équipe ministérielle, principal nœud entravant encore la mise sur pied du prochain gouvernement.
La réunion du bloc parlementaire du CPL revêt de l’importance dans la mesure où il s’agit du tout premier meeting après la conversation à bâtons rompus entre le chef de l’État et quelques journalistes, à Baabda, à l’occasion du deuxième anniversaire de son élection, mercredi dernier. Lors de cet entretien, Michel Aoun avait ouvertement critiqué la demande des sunnites proches de l’axe syro-iranien de prendre part au cabinet, dans la mesure où ils font partie de groupes parlementaires déjà représentés au sein de l’équipe ministérielle.
Partant, on s’attendait à ce que le bloc parlementaire dominé par le parti fondé par le président de la République, et qui lui exprime un soutien indéfectible, lui emboîte le pas. Sauf que le « Liban fort » a préféré hier adopter la politique de l’autruche, pour reprendre les termes d’un observateur politique interrogé par L’Orient-Le Jour. Il s’est donc contenté d’appeler à la formation du gouvernement dans les plus brefs délais. « La question du gouvernement est essentielle et indispensable, indépendamment des nœuds et des désaccords, au vu des défis qui nous attendent », a déclaré Ibrahim Kanaan, député du Metn, à l’issue de la réunion, ajoutant que le résultat des dernières législatives devrait être la base de la composition du prochain cabinet.
Ce décalage entre les propos de Baabda et le silence du CPL est d’autant plus remarquable que le bloc aouniste n’avait jamais manqué de loquacité lorsqu’il s’agissait de s’en prendre aux Forces libanaises pour les accuser de bloquer le processus gouvernemental et d’entraver le progrès du sexennat, lorsque les tractations portaient sur la représentation ministérielle de ce parti. Une position que Fadi Saad, député FL de Batroun, s’est contenté de placer dans le prolongement du « style » du parti de Gebran Bassil. « Jamais leurs batailles n’ont été menées dans le bon sens », a-t-il déploré via L’OLJ.
Des observateurs estiment que cette prise de position, très en retrait par rapport à ce qu’avait dit le président mercredi dernier, signifierait que les aounistes, et peut-être le chef de l’État lui-même, pourraient transiger au sujet de la représentation ministérielle des sunnites proches de l’axe syro-iranien. Le cas échéant, le slogan du « président fort », cher aux proches de Baabda, en recevrait un sacré coup, soulignent ces mêmes observateurs.
Face à ce mutisme aouniste, le courant du Futur campe, lui, sur sa position : il n’est pas question d’intégrer les sunnites prosyriens à la future équipe. Réuni hier sous la présidence de Bahia Hariri, députée de Saïda, en l’absence de Saad Hariri, toujours en visite privée à Paris, le bloc parlementaire du Futur n’a pas mâché ses mots, estimant que la demande du Hezbollah est une « revendication rédhibitoire visant à entraver le processus gouvernemental », comme on peut lire dans un communiqué publié à l’issue de la réunion. Le bloc s’est, par ailleurs, félicité de la prise de position de Michel Aoun (de mercredi dernier) à ce sujet, dans la mesure où elle reflète « un haut sens des responsabilités et une volonté de former le cabinet dans les plus brefs délais, pour faire face aux défis visant les Libanais, leur sécurité et leur économie (…) ».
Bkerké s’invite dans la partie
Quoi qu’il en soit, le patriarche maronite, Mgr Béchara Raï, poursuit son forcing pour la mise sur pied du cabinet. Au lendemain de son entretien lundi à Baabda avec le chef de l’État, à l’issue duquel il avait implicitement accusé le Hezbollah de bloquer les tractations, le chef de l’Église maronite a reçu hier à Bkerké le mufti jaafarite Ahmad Kabalan, proche de la formation de Hassan Nasrallah. S’exprimant à l’issue de la rencontre, le mufti Kabalan a fait savoir que Mgr Raï exhorte le Hezbollah à défaire les nœuds empêchant encore le gouvernement de voir le jour, afin de pouvoir commencer à résoudre les problèmes du pays.
À en croire l’agence locale al-Markaziya, Mgr Raï aurait exposé devant son interlocuteur la grave situation économique, estimant que cela devrait pousser les leaders chiites à collaborer pour la mise sur pied du cabinet.
Toujours selon al-Markaziya, le chef de l’Église maronite aurait insisté sur l’importance d’épargner au pays « un danger qui paraît imminent ».
Sauf que le Hezbollah fait la sourde oreille aux craintes du patriarche. C’est ce que l’on déduit des propos d’un proche du parti chiite, contacté par L’OLJ. « Nous voulons un Premier ministre fort et un cabinet équilibré. C’est pour cela que nous plaidons pour la représentation des sunnites ne relevant pas du courant du Futur », souligne-t-il, assurant que « le gouvernement pourra voir le jour en quelques secondes si le Premier ministre accepte de comprendre qu’il ne monopolise plus la représentation des sunnites », ajoute le proche du parti de Hassan Nasrallah, sans vouloir fixer une limite dans le temps aux atermoiements actuels. Une façon pour lui d’atténuer l’impact des propos rapportés samedi dernier par le quotidien al-Liwaa’ et attribués à « un haut cadre du Hezbollah ». « Nous voulons représenter les sunnites du 8 Mars, et nous continuerons à le demander, même si pour cela, il faut aller jusqu’au terme du mandat présidentiel », avait-il déclaré.
Les pressions internationales
Parallèlement aux efforts locaux, la communauté internationale continue de presser pour la naissance du gouvernement. C’est dans ce cadre que s’inscrivent les propos tenus hier par l’ambassadeur d’Égypte à Beyrouth, Nazih Naggari.
À l’issue d’une réunion avec le mufti de la République, le cheikh Abdellatif Deriane, il a souligné que Le Caire a transmis un message aux dirigeants libanais les exhortant à aller de l’avant dans la formation du gouvernement, afin de préserver la stabilité du pays ainsi que celle de la région.
Notons enfin qu’Aurélien Lechevalier, conseiller diplomatique du président français, Emmanuel Macron, a poursuivi hier sa tournée à Beyrouth. Il a rencontré Mahmoud Berry, frère et conseiller du chef du législatif, Nabih Berry.