Liban-Israël : enjeux des négociations qui portent sur 1 800 km2

Liban-Israël : enjeux des négociations qui portent sur 1 800 km2
Liban-Israël : enjeux des négociations qui portent sur 1 800 km2

Par Charbel Skaff

En droit international, le territoire est l’un des éléments constitutifs de l’État : c’est l’espace de la souveraineté dont dispose sans partage tout État. La délimitation des frontières est donc une nécessité pour éviter la confrontation causée par l’empiétement d’une souveraineté sur l’autre. Dans ce sens, la frontière participe à la fondation de l’État-nation et de l’autorité compétente reconnue sur ce territoire.

Les découvertes du gaz en Méditerranée orientale évoquent la délimitation, problématique et compliquée, des frontières maritimes du Liban avec Chypre, la Syrie et Israël, lequel a commencé à exploiter des champs gaziers dans une zone contestée par Beyrouth et qui est le sujet d’un litige maritime depuis 2011. L’État libanais qui lance le processus de délimitation de ses frontières maritimes, condition préalable à toute exploration, se trouve face à un nouveau défi qui met en cause sa souveraineté. Le gaz contribue ainsi à la création d’une nouvelle couche de conflits qui s’ajoutent à ceux qui existent déjà dans une région où les tensions sont nombreuses.

Ainsi, le problème des frontières du Liban-Sud avec Israël incite les États-Unis à mener depuis 2011 une médiation entre les deux pays.Avec le début des négociations indirectes en octobre 2020 entre le Liban et Israël pour la délimitation des frontières maritimes sous l’égide des Nations unies et en présence du médiateur américain, le Liban présente un dossier technique et juridique pertinent qui se base sur la Convention des Nations unies sur le droit de la mer (Unclos), l’étude de l’UKHO (United Kingdom Hydrographic Office) en 2011, la jurisprudence de la Cour internationale de justice (CIJ) et du Tribunal international du droit de la mer. Le dossier a permis de constater l’évolution de la démarche libanaise vis-à-vis du point tripartite qui définit sa frontière maritime sud avec Israël et Chypre. Le Liban est passé du point 1 en 2007 au point 23 en 2011 à un nouveau point qui est le point 29 défini en 2020 et qui se situe au sud du point 23, corrigeant ainsi les lacunes du traité de 2007 avec Chypre et tout ce qui en découle.

Pour rappel, les recommandations de l’UKHO en 2011 donnent à l’État libanais trois options pour la redélimitation de sa frontière sud avec Israël. La première, qui adopte la ligne médiane sans tenir compte de l’effet de l’île israélienne de Tekhelet, donne au Liban une superficie additionnelle de 1 350 km2 au sud de la ligne frontalière proclamée. La deuxième adopte la ligne médiane en considérant un demi-effet de l’île de Tekhelet ; de ce fait, elle donne au Liban une superficie additionnelle de 500 km2. Enfin, la troisième option adopte la ligne perpendiculaire à la côte et donne au Liban une superficie supplémentaire de 200 km2. Ces options sont en conformité avec les lois internationales et le droit maritime et indiquent clairement que la ligne frontalière doit être au-delà du point 23 proclamé par le gouvernement libanais. La question des îles israéliennes non habitées et dont la prise ou non en considération affecte la délimitation de la frontière maritime sud de la ZEE (zone économique exclusive) libanaise surgit de nouveau comme étant l’obstacle principal devant l’avancée des négociations. L’article 121, paragraphe 3 de la Convention de Montego-Bay sur le droit de la mer dispose : « Les rochers qui ne se prêtent pas à habitation humaine ou à une vie économique propre n’ont pas de zone économique exclusive ni de plateau continental. » En la jurisprudence du droit international, il y a une tendance pour diminuer l’effet des îles peu ou non habitées dans les sollicitations de délimitations maritimes.

Il est revenu principalement aux juges de la Cour internationale de justice de dégager une règle générale applicable à toutes les délimitations maritimes entre États. Cette règle générale, qui combine la méthode de l’équidistance et le recours aux circonstances pertinentes de chaque cas, prescrit une opération en trois étapes : d’abord, le tracé d’une ligne provisoire selon la technique de l’équidistance ; ensuite, éventuellement, la modification ou l’ajustement de cette ligne provisoire en fonction des spécificités ou particularités géographiques ; enfin, la vérification de l’équité du résultat selon un critère de proportionnalité permettant d’apprécier l’absence de disproportion flagrante entre les étendues marines revenant à chaque État et l’importance du littoral de chacun d’eux.

Cette règle s’est dégagée et affirmée de façon progressive dans la jurisprudence internationale. Dans le cas du Liban, il n’est pas admissible qu’une île ou un rocher non habitable (Tekhelet) lui fasse perdre 1 800 km2, sachant que la surface de sa ZEE est de 22,730 km2. En plus, il n’y a pas de précédent juridique international de prendre en considération des îles non habitées, surtout si elles ont un effet disproportionnel. De ce fait, le litige porte actuellement sur 1 800 km2. La revendication maximale libanaise porte sur 1 430 km2 au sud du point 23 (en se basant sur l’étude de l’UKHO en 2011 qui a donné 1 350 km2 et l’étude de l’armée libanaise en 2018 qui a ajouté 70 km2 additionnels à l’étude britannique), et la revendication maximale israélienne porte sur 370 km2 au nord du point 23.

Cette surface a été proposée par la ligne Hoff à Israël en prenant en considération le poids des îles israéliennes non habitées. Reste que la poursuite des négociations est un intérêt stratégique pour le Liban. La délimitation est un facteur de stabilité qui encouragera Total à poursuivre les explorations dans le bloc 9 et qui contribuera à attirer d’autres compagnies à participer au deuxième cycle d’octroi des licences. D’autre part, le Liban pourra ainsi modifier le traité signé avec Chypre et établir un modèle pertinent pour les futures négociations problématiques avec la Syrie.

En cas d’échec des négociations, le Liban doit modifier le décret 6433 et élargir sa ZEE de 1 430 km2 au sud du point 23. Il aura aussi l’obligation de notifier les Nations unies des changements selon l’article 74 de l’Unclos. Sachant que l’article 3 du décret 6433 laisse la porte ouverte pour la modification, je cite : « Il est possible de rectifier la limite de la ZEE et de l’améliorer et par conséquent de modifier les points géostatiques lors de l’apparition de données plus ponctuelles et selon le besoin lors des négociations avec les pays voisins concernés. » Une fois que le décret est modifié, la zone de conflit sera de 1 800 km2 où les explorations seront difficiles à entamer, ce qui augmentera les pressions sur l’État israélien et le poussera à trouver une solution aussitôt que possible.

Il est prévu que le pompage du gaz commencera durant la seconde moitié de 2021 au champ « Karich » situé au sein de la zone de conflit, ce qui présente un facteur de pression additionnel sur la compagnie exploratrice Energean Israël dont les travaux seront menacés du fait des tensions frontalières.Il sera nécessaire que l’État libanais exerce sa souveraineté ; ainsi le dossier de négociation prendra ses dimensions techniques, juridiques et souveraines de façon à conserver les intérêts suprêmes de l’État libanais seul, où il sera en position de bénéficier de ses ressources naturelles pour relancer l’économie qui traverse une crise systémique et redonner de nouveau espoir aux citoyens.

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